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Perspective sociale face à l’application de P-38
Publié le 17 juin 2025 par Geneviève Cloutier, T.S., Ph. D., Courtière de connaissances, OTSTCFQ
La Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (P-38) permet de placer sous garde dans un établissement de santé et de services sociaux une personne dont l’état mental présente un danger sans qu’elle y ait consenti.
Des travaux majeurs sont en cours dans le but d’améliorer la protection des personnes ciblées par cette Loi[i]. L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec a pris part à la consultation en rédigeant un mémoire dans le but d’améliorer la protection, l’aide et l’accompagnement offerts aux personnes visées par P-38 en respect de leurs droits et de leurs besoins. En voici les grandes lignes.
Un contexte social propice au recours à P-38
Le Québec vit de profondes transformations sociales, de nombreux problèmes sociaux ayant été exacerbés en période post-COVID, en plus de l’amplification des inégalités sociales, économiques et de santé. On assiste à une augmentation de la pauvreté, de l’itinérance et des problèmes de santé mentale, ce qui entraîne des problématiques de cohésion sociale et de vivre ensemble propices au recours accru à P-38.
Les enjeux de l’application de P-38
L’application de P-38 repose sur un juste équilibre entre la préservation des libertés fondamentales et la protection des personnes visées ainsi que de la société. Certains enjeux sociétaux vont influencer l’utilisation de la Loi tandis que d’autres enjeux découlent de son application. Ceux-ci ont été documentés[1]. En voici quelques exemples :
- Préjugés, discriminations face à certains groupes plus à risque d’être visés par P-38 : personnes racisées, issues des Premières Nations et Inuit, des minorités de genre et d’identité sexuelle, handicapées, etc.;
- Non-respect fréquent des droits: droit de consentir aux soins et services, droits liés à la mise sous garde, droit de porter plainte, droit d’être représenté ou assisté, etc.;
- Stigmatisation aux différentes étapes du processus : urgence, passages à la cour, épisodes de soins subséquents, après la crise lors de la recherche d’un emploi/vérification des antécédents, etc.
La place et l’apport des proches
Les proches sont souvent les premiers à déceler que l’état mental d’un des leurs se dégrade et à avoir recours à P-38. Or, ils sentent souvent qu’ils jouent un rôle strictement utilitaire d’informateurs, étant souvent écartés par l’équipe traitante dans les soins et les interventions réalisées auprès de la personne. Ils souhaiteraient, pour une grande part, être impliqués dans le processus d’intervention en vue de protéger l’intérêt primordial de la personne.
Des pratiques sociales contributives
Les situations de crise peuvent être expliquées par plusieurs facteurs, comme les inégalités sociales, la violence, l’isolement, l’exclusion, la stigmatisation, la discrimination ou encore la détresse ou la difficulté d’accéder aux services. Les pratiques sociales sont donc toutes désignées pour intervenir en amont des crises, notamment afin d’éviter le recours à P-38 en agissant sur les facteurs de risque.
Lorsqu’il y a une crise et que le recours à P-38 est envisagé, en plus d’évaluer la dangerosité de la situation, des actions visant à résorber cette crise, à tenter d’obtenir le consentement de la personne pour recevoir des soins et des services, à veiller à la défense des droits des personnes visées et à les soutenir seront considérées.
Après une crise, un suivi clinique basé sur les besoins dans une perspective de rétablissement et divers moyens pour favoriser le partage d’information entre proches et intervenants (tout en respectant la confidentialité) peuvent être envisagés. Enfin, la mise en place de mesures visant l’amélioration des conditions de vie des personnes est incontournable.
[1] Liste de références à consulter dans le mémoire de l’Ordre.
[i] Consultez : Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ