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Prévenir le suicide pendant la pandémie de la COVID-19
Publié le 20 janvier 2021 par Marie-Claude Geoffroy, Ph. D., Chaire de recherche du Canada en prévention du suicide, professeure adjointe de psychologie de l’enfant, Université McGill et psychologue clinicienne, Massimiliano Orri, Ph. D., Post-doctorant, Université McGill et psychologue clinicien, Patricia Conrod, Ph. D. et Naguib Mechawar, Ph. D., Direction du Réseau Québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés.
De nombreux experts craignent une hausse des taux de suicide pendant ou suite à la pandémie de la COVID-19 (Gunnell et al., 2020; Reger, Stanley, & Joiner, 2020). Plusieurs facteurs justifient cette préoccupation, tels que l’augmentation du taux de suicide lors de l’épidémie de SRAS en 2003, notamment chez les personnes âgées de 65 ans et plus, une détérioration de la santé mentale et des facteurs de risque associés au suicide comme l’isolement, la perte et le deuil, la consommation d’alcool, la violence conjugale et l’insécurité économique (John, Pirkis, Gunnell, Appleby, & Morrissey, 2020).
Au Québec, comme ailleurs dans le monde, il est encore tôt pour se prononcer quant au nombre de suicides survenus en 2020 puisque les enquêtes des coroners durent en moyenne près d’une année. Toutefois, les données rendues disponibles ailleurs dans le monde depuis le début de la pandémie sont rassurantes : les études ne montrent pas une augmentation marquée de la mortalité par suicide, ni des tentatives de suicide. Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence étant donné la faible qualité méthodologique de certaines études. Par ailleurs, il est possible que l’impact de la pandémie sur le suicide ne soit pas immédiat, mais se fasse sentir à plus long terme, possiblement suite à une crise économique, ou à une augmentation des taux de dépression (Ettman et al., 2020).
Ainsi, il nous faut des études avec des mesures répétées dans le temps, afin de pouvoir mieux caractériser les changements influant directement ou indirectement le risque suicidaire. Récemment une importante enquête britannique a indiqué une légère hausse des idées suicidaires entre mars et mai 2020, soit une augmentation de 8,2 % à 9,8 %, alors que le nombre de tentatives de suicide demeurait faible (O’Connor et al., 2020). Il est aussi essentiel de mieux documenter le risque suicidaire parmi les groupes vulnérables comme les jeunes adultes, les personnes défavorisées sur le plan socio-économique et celles ayant des problèmes de santé mentale préexistants (Bray et al., 2020; Wasserman, Iosue, Wuestefeld, & Carli, 2020).
Il serait risqué d’attendre qu’une meilleure connaissance des conséquences de la pandémie sur le suicide soit atteinte avant de mettre en place des mécanismes de protection. Une étude récente révèle que les jeunes adultes qui profitaient d’un niveau élevé de soutien social – sentiment de pouvoir se tourner vers une autre personne en cas de besoin – avaient jusqu’à 40 % moins de risque de penser au suicide ou de faire une tentative de suicide un an plus tard (Scardera et al., 2020). Bien que les effets du soutien social sur la santé mentale pendant une pandémie ne soient pas encore bien documentés, plusieurs experts recommandent de lutter contre l’isolement et la solitude en facilitant l’accès aux outils numériques notamment chez les personnes âgées et en encourageant les rendez-vous virtuels. Comme professionnels de la santé, nous pouvons aider nos patients à identifier dans leur entourage des sources de soutien social et à créer un réseau d’aide efficace. L’International Academy for Suicide Research recommande d’évaluer le risque suicidaire pendant la pandémie par vidéo-conférence lorsqu’il n’est pas possible de le faire en personne. Il faut continuer à intervenir auprès de la personne suicidaire à l’aide de bonnes pratiques (Zalsman et al., 2020). Les travailleurs de la santé peuvent, eux aussi, ressentir de la détresse en raison de la COVID-19, et il demeure essentiel de mieux les outiller pour augmenter leur capacité de résilience.
Chaque année plusieurs Québécoises et Québécois meurent par suicide, laissant derrière eux d’innombrables personnes affectées par leur décès. Il faut continuer à travailler ensemble pour prévenir le suicide, particulièrement en ces temps difficiles. Nous pouvons faire la différence en tant qu’individu, communauté, et société.